Dans le cadre de notre travail, nous constatons que les plaintes sur la douleur concernant la zone périnéale et pelvienne post-accouchement sont assez fréquentes et souvent troublantes pour plusieurs. Avec une grossesse et des suites d’un accouchement, beaucoup de choses se passent dans un si petit espace, ce qui le rend si important.
En effet, le bassin de la femme et son plancher pelvien est un lieu de convergence important. Il s’oppose entre les forces de gravité venant du haut et les forces de réaction du sol (parce que pris entre les deux). Il contient merveilleusement les organes reproducteurs, permet la fécondation, protège le fœtus et le maintient comme dans un nid. Il constitue par son extrémité basse, la voie de passage et d’ouverture lors de la naissance, mais aussi, disons-le, lieu de plaisir sexuel et d’élimination. C’est l’espace d’ouverture bien sûr, mais il assure aussi le rôle de soutien des viscères contenu dans le tronc. Il joue plusieurs rôles importants et nécessite des qualités différentes, mais tout aussi importantes, soit la souplesse pour laisser passer et la force pour soutenir avec fermeté. Par sa richesse symbolique, mais aussi par sa physiologie particulière, le bassin maternel, espace sacré de la femme, nous permet d’imaginer la complexité et les possibles difficultés rencontrées pour bien cerner cette douleur.
Nous pensons que par son approche manuelle et douce, la prise en charge qui tient compte aussi de la dimension émotionnelle de cette problématique est tout indiquée. Bien que jusqu’à maintenant, le traitement manuel n’occupe que peu de place dans la prise en charge de ces douleurs, parce qu’inconnu du grand public et aussi des médecins, il est permis de penser qu’il soit efficace sur le fait que l’on «mette le doigt où ça fait mal[1] », car la reconnaissance physique des douleurs de la femme par le thérapeute constitue une étape importante dans le processus de guérison.
Malaise!
En raison de la région anatomique, du caractère sexuel, du rapport avec la défécation, les femmes se sentent mal à l’aise de se plaindre de telles douleurs. Il faut souvent avoir établi un grand lien de confiance pour que les confidences voient le jour. Ces échanges peuvent difficilement avoir lieu à l’intérieur des dix minutes passées dans le bureau du médecin. Cela prend un temps pour que «la parole se rapproche du corps[2]» pour reprendre les mots de C. Merger. Dans la plupart des cas, la démarche traditionnelle médicale est longue et le diagnostic arrive longtemps après.
Comment aborder le traitement des douleurs pelvi-périnéales considérant que cela appartient au domaine de l’intimité, de la sexualité ainsi qu’aux fonctions d’élimination? Les questions de tabou, de pudeur et de dignité sont au centre du traitement. Les troubles associés aux douleurs pelvi-périnéales sont source de honte, de pudeur et de sentiment d’indignité. La femme peut même avoir des difficultés à exprimer sa plainte et redoute souvent le traitement en tant que tel, à cause de la douleur bien sûr, mais surtout à cause du caractère intime que cela peut impliquer.
Les questions de pudeur et de dignité de la patiente auront un impact direct sur le choix des techniques, la qualité du toucher et surtout sa qualité de présence lors de ce type de traitement. Ce genre de traitement ne peut donc pas être un processus uniforme pour chacune, mais demande au thérapeute une approche personnalisée, une grande ouverture sur l’autre et une facilité à guider la patiente dans son processus de guérison avec ses propres limites.
Nos explications à la patiente accompagnent toujours les perceptions que nous avons et permettent à la femme de les interpréter, de leur donner un sens. Cependant, toucher l’autre c’est aussi entrer dans son intimité et cela peut être vécu comme une agression, une intrusion, touchant grandement la pudeur. Le sentiment d’intrusion est inévitablement renforcé lorsqu’il s’agit des parties génitales. Le mot pudeur vient du latin «pudere» et signifie avoir honte, causer de la honte (d’où le nom du fameux nerf honteux, nerf pudendal). L’homme se serait d’abord recouvert par pudeur. C’est la pudeur qui serait à l’origine du vêtement. Il y a un lien important entre pudeur et honte, entre pudeur et estime de soi, la pudeur étant une protection de l’intimité et de la dignité. Nous sommes conscients que cela fait beaucoup de choses à considérer, mais aussi pour la patiente, afin que le corps et les tissus acceptent de coopérer.
Une douleur aussi émotionnelle
Le pelvis et le périnée font l’objet d’un investissement lourd sur les plans culturel, affectif, émotionnel et sexuel. Les femmes qui souffrent de douleurs pelvi-périnéales chroniques sont souvent en détresse psychologique, en particulier lorsqu’aucune cause lésionnelle apparente n’a été identifiée. Les Français ont trouvé le terme du périnée «cache-misère»[3] qui décrit bien ce que c’est. Ce sont des lésions non apparentes, des lésions périnéales internes importantes, mais à périnée externe intact sans déchirure cutanéo-muqueuse. Les structures musculo-aponévrotiques sont les premières à aider. Lorsqu’il y a ruptures, elles touchent premièrement les aponévroses, les muscles puis le vagin et la peau. Il faut donc se méfier des éraillures vaginales ignorées du médecin, car elles peuvent nous faire penser à des lésions périnéales plus profondes qui ont touché les aponévroses, les muscles et le centre tendineux du périnée et donnent possiblement des douleurs pelvi-périnéales incomprises même difficiles pour la femme à expliquer. Lorsque ces douleurs ne correspondent pas à des lésions visibles, les femmes redoutent de se faire dire qu’elles n’ont rien et que la douleur est psychosomatique. Le stress et l’état sympathique génèrent à la fois des contractures musculaires et une hypertonie qui n’aident pas aux symptômes et lorsque l’on a mal, le stress est difficile à gérer.
L’humeur, les émotions, le stress, l’équilibre affectif, l’activité, la qualité du sommeil, l’équilibre hormonal et la mémoire d’expériences antérieures, par exemple le vécu d’un accouchement difficile, sont susceptibles d’avoir une influence sur la perception de la douleur. Il est intéressant de se rappeler que notre cerveau gère l’émotion douloureuse à partir d’informations d’origine nociceptive, seulement après les avoir intégrées, c’est-à-dire après les avoir évaluées, comparées avec d’autres informations présentes dans notre mémoire, confrontées avec notre état émotionnel du moment et avec notre environnement. La douleur ressentie n’est donc pas directement le reflet du traumatisme subi, mais est aussi et beaucoup celui de notre histoire personnelle, sexuelle, culturelle et sociale.
La douleur ressentie pourrait être considérée comme la somme de la souffrance passée, de la douleur actuelle et de l’anticipation sur la douleur à venir[4].
Une écoute attentive est la première étape indispensable. Pour la femme, sentir qu’elle peut parler de sa souffrance, se sentir entendue et reconnue peut déjà être un soulagement. Entendre réellement la plainte au-delà des mots et comprendre ce qui n’est pas dit est un des fondements d’une écoute réelle. Par contre, il faut bien faire attention et éviter la confusion entre les conséquences psychologiques d’une douleur pelvi-périnéale et l’origine psychologique de la douleur. Dans le doute, il aura à référer à un psychologue, sexologue ou à un psychiatre.
La douleur au fil du temps
La douleur remonte à la nuit des temps. Toutes les civilisations au cours des siècles en parlent. Elle a pris racine dans l’histoire des hommes et de l’humanité. De l’Antiquité au XXIe siècle, quelles que soient les religions ou doctrines, la douleur a apeuré ou inspiré les comportements et les opinions les plus variés. «Mais la douleur est un parfait malheur, le pire des maux, excessive, elle vient à bout de toute patience[5].» De nombreux philosophes, théologiens et écrivains ont sublimé celle-ci en lui accordant une certaine valeur de rédemption, de rachat ou de punition. D’autres ont valorisé sa grandeur et son acceptation. Depuis des temps très anciens, la malédiction divine pèse sur le sort des femmes enceintes et des femmes en couches. La Bible raconte dans le Livre de la Genèse que Dieu a condamné Ève à enfanter dans la douleur en l’expulsant du paradis, pour avoir enfreint ses règles[6].
Pour le christianisme, les paroles de la Bible: «tu enfanteras dans la douleur» nous montrent à quel point, encore aujourd’hui, la femme est sous l’influence d’un bagage judéo-chrétien pour définir l’acceptation, la normalité des douleurs pelvi-périnéales suite à l’accouchement. Dans l’inconscient collectif, tant pour les croyants que pour les non-croyants, cette phrase a marqué. La douleur est ainsi perçue comme une fatalité faisant partie du processus de l’accouchement, comme étant le prix à payer pour le privilège de mettre un enfant au monde.
Et si ce n’était pas une fatalité?
Souvent, dans les douleurs pelvi-périnéales, une des causes est l’atteinte totale ou partielle du nerf honteux (pudendal). La médecine jadis considérait que ce nerf participant au plaisir sexuel était honteux… d’où son nom d’origine. N’est-il pas curieux que ce nerf soit issu du sacrum par les trous sacrés S2, S3 et S4? Le nom même de sacrum (os saint)[7] vient probablement d’anciennes croyances égyptiennes selon lesquelles il était l’os sacré du corps, peut-être du fait qu’il protégeait les organes génitaux. Il était considéré comme indestructible, même après la mort. Il devait être intact pour garantir la résurrection du corps. Voilà qui ajoute à notre curiosité et à notre intérêt pour cette partie de l’anatomie humaine, dans les connaissances des douleurs dites «de femmes ou de l’enfantement», considérées encore comme honteuses et secrètes.
En anatomie, cette évolution se manifeste étonnamment par la transformation du nom de nerf honteux pour le nom de nerf pudendal, d’ailleurs très peu utilisé en gynécologie. Comme ces deux mots ont la même racine latine, la richesse de la langue française nous permet curieusement de remplacer la honte par la pudeur…[8]
Mon but, est de trouver une approche basée sur le «corps-unité», respectueuse des tissus et des structures pelvi-périnéales en tenant compte de l’aspect délicat, sacré et particulier de cette partie du corps dans sa problématique. Développer la présence, l’écoute, un toucher doux, précis, avec le respect de la non-douleur qui, de cette façon, permettront aux femmes de se sentir en confiance, d’accepter que l’homéostasie fasse son œuvre et, par le fait même, rapprocher la parole du corps.
Physiothérapie / rééducation périnéale et pelvienne
Lyne Bourdages
Centre La Source en Soi
Lasourceensoi.com
Références:[1] D.BONNEAU Approches des algies pelvi-périnéales de la femme en Médecine Manuelle Service de Gynécologie – Obstétrique CHU de Nîmes p.1[2] C. MERGER, UFP et Université de Strasbourg, Octobre 2002 Douleurs pelviennes aiguës et chroniques de la femme p.4[3] A.S RITEAU Le périnée féminin de la superficie a la profondeur, Mémoire de fin d’étude, Université de Nantes 2002-2003p.37[4] G. OSTREMAN ibid p.19[5] J. MILTON. Le paradis perdu, livre 6, deuxième édition 167 4 p.445.[6] La Bible, ancien testament, Le pantateuque Genese — 3 verset 16 «Et tu enfanteras dans la douleur».[7] J.Y MAIGNE Le mal de dos au féminin Édition du Rocher 1998 page 2[8] D.BONNEAU Op cit. p.5