Depuis plusieurs décennies, les avancées en neurosciences ont permis de mettre de l’avant des compétences 
et un potentiel d’apprentissage insoupçonnés chez les tout jeunes enfants. On sait par exemple1 que dès les premiers jours, le bébé réagit différemment à la voix humaine par rapport à tout autre bruit.
Le nouveau-né peut aussi discriminer l’odeur du sein de sa mère de l’odeur d’une autre femme. Le bébé a par ailleurs des capacités d’imitation très précoces. Rapidement, il va chercher à coordonner son activité à celle de son interlocuteur. ( Photo: Annie Savard-Filion)
Ces découvertes, si fascinantes soient-elles, sont à double tranchant. D’un côté, les parents d’aujourd’hui ont l’opportunité, s’ils le souhaitent, de faire autrement de ce qu’ils ont reçu dans leur enfance en prenant appui sur les multiples informations disponibles en matière de développement de l’enfant, d’éducation, de parentalité. Ils ont aussi l’embarras du choix en terme d’activités où inscrire leur enfant pour assurer son développement moteur, langagier, social, artistique…
D’un autre côté, ces découvertes et les recommandations qui en découlent exercent bien souvent une pression de performance sur les parents et, par le fait même, sur les enfants. Il faudrait que l’enfant s’assoie à 6 mois; qu’il commence à construire des phrases de deux mots vers 18 mois; qu’il ait développé une variété de goûts alimentaires avant l’âge de 2 ans… À trop savoir les risques et les potentialités, il devient difficile de ne pas « surfocaliser » sur les aptitudes ou les inaptitudes de l’enfant, au point où parfois, on en oublie de regarder l’enfant dans ce qu’il vit et cherche à communiquer dans un instant donné.
L’Accompagnement affectif du bébé par le jeu (AABJ)2 est une approche qui se fonde aussi sur la prémisse d’un potentiel inouï chez le bébé. Toutefois, son regard se pose avant tout sur les besoins de l’enfant dans le but de faire grandir chez lui un sentiment de sécurité affective profonde.
En dehors des soins de base, les bébés ont deux besoins fondamentaux : être pris en charge et actualiser leurs compétences, c’est à dire découvrir et goûter à leurs capacités propres. La grande vulnérabilité des bébés et leur dépendance face à l’adulte sautent aux yeux. Le besoin de se sentir compétent est parfois plus difficile à décoder tant que l’enfant n’est pas en mesure de protester et d’affirmer haut et fort: «Moi, tout seul!».
Et pourtant, dès les premiers jours après la naissance, on voit dans la vitalité et la sérénité de leurs regards que les bébés retirent une grande assurance du fait de pouvoir se sentir compétent. Ce sentiment est d’autant plus important que, jusqu’à l’âge de la marche et de la parole, le bébé vit d’importantes angoisses liées au peu de contrôle qu’il a sur le monde qui l’entoure : il ne comprend souvent pas ce qui lui arrive, a peu de moyens pour communiquer et sa motricité ne lui permet pas toujours d’atteindre les objets qui l’intéressent ni de prendre des postures qui le soulageraient.
Dans une période où presque tout semble échapper à son pouvoir, les plus brefs moments de compétence sont pour le bébé source de satisfaction et de réassurance quant à son potentiel en devenir. Aussi, le fait d’être reconnu comme étant un être à la fois compétent et dépendant confirme le bébé dans sa valeur propre et lui fait entrevoir qu’il peut à la fois puiser dans ses ressources intérieures et trouver du support chez autrui.
Or, s’il est facile de conceptualiser ces besoins, il n’est pas facile, dans le quotidien, d’y répondre de façon ajustée. Comment ne pas en faire trop ni pas assez? Les compétences des bébés varient non seulement au fil des jours, mais aussi, au cours d’une même journée. Fraîchement réveillé, bébé a peut-être la force et le plaisir de soulever sa tête quand il est couché sur le ventre, mais plus tard dans la journée, devant Matante ou Grand-papa, il n’est peut-être plus aussi tonique. De même, les enfants veulent parfois faire quelque chose par eux-mêmes pourvu que ce soit sous le regard bienveillant de leur parent. Pour une même action, ils manifestent donc leur double besoin : celui d’être pris en charge du point de vue affectif et celui d’être proactif du point de vue moteur.
Les séances d’AABJ – qu’elles soient en individuel ou en groupe – visent justement à aider les parents à décoder les besoins multiples exprimés par leur enfant et à y répondre de façon adaptée pour aider ce dernier à grandir en confiance. Si, par exemple, le bébé manifeste l’envie d’atteindre un objet, mais qu’il ne sait pas comment rouler ou ramper, les parents sont encouragés à accompagner ses mouvements de manière à lui faire sentir un chemin qu’il va pouvoir reprendre tout seul. Autrement dit, ce qui est proposé à l’enfant est toujours adapté à ses capacités développementales afin qu’il puisse le reproduire par lui-même. Aussi, les propositions se font toujours de manière ludique et en respect de ce que manifeste l’enfant dans le moment présent.
Cette approche amène donc les parents à développer une présence à soi et une présence à leur enfant. Issue de l’haptonomie (science du toucher affectif), l’AABJ aide les parents à raffiner leurs perceptions et leur écoute dans les gestes quotidiens qu’ils ont avec leurs bébés. Elle les amène aussi à porter un regard différent sur l’éducation et l’enfance. Un regard qui confirme, qui reconnaît et qui accompagne.
1 Les exemples qui suivent sont tirés de « Développement affectif du nourrisson. L’installation précoce de la relation mère-enfant et son importance », article rédigé par M. Maury et paru en 2008 sur le site www.medecine.ups-tlse.fr
2 L’AABJ est le volet postnatal de la Préparation affective à la naissance (PAN). Ces approches ont été fondées par Brigitte Dohmen, psychologue belge formée en haptonomie.
Chrystèle Chalhoub
Praticienne en PAN/AABJ et ergothérapeute
Animatrice d’ateliers parents-bébé
Centre La Source en Soi
www.lasourceensoi.com
Pour en savoir plus sur l’approche et les praticiennes au Québec, consultez www.naissanceaffecive.ca